Le taxi qui nous conduisait à Marseille vivait depuis quelque temps la même histoire que la nôtre... son père était atteint du même "mal" que toi. Par contre, il n'avait pas eu cette chance de bénéficier du traitement par Gamma Knife; aux dires de notre conducteur, son père s'était retrouvé paralysé d'un côté du corps suite à des séances de radiothérapie classique sur le cerveau. Il était hospitalisé et le pronostic n'était pas bon.
Nous étions donc encore plus conscients de la chance dont tu allais bénéficier, ta métastase au cerveau n'étant pas accessible à la chirurgie et étant située dans une zone très profonde du cerveau.
En arrivant, tu étais pris en charge par une équipe très professionnelle qui allait t'expliquer tout le parcours de ces trois jours passés dans le service de chirurgie stéréotaxique de l'hôpital; de mon côté, j'apprenais qu'un lit d'appoint pouvait être mis à ma disposition afin que je puisse rester auprès de toi. J'annulai donc la chambre que j'avais réservée à l'hôtel faisant face à l'hôpital.
Dans l'après-midi, nous allions rencontrer deux médecins successifs qui nous expliquèrent le principe du traitement; je m'étais renseignée auparavant sur Internet et t'avais fait part de mes découvertes sur ce traitement que je ne connaissais absolument pas. Heureusement d'ailleurs... on a beau dire qu'il ne faut pas trop s'informer sur Internet concernant tout ce qui est médical, je dois dire que le fait d'avoir pris des informations préalables nous a probablement permis de moins stresser, de mieux appréhender le sujet. Nous nous étions déjà préparés à ce qui était sûrement le côté le plus "barbare" du traitement, c'est-à-dire la pose du casque stéréotaxique.
Le neurochirurgien qui allait intervenir le lendemain nous expliqua tout de A à Z; son inquiétude, non dissimulée, était que la métastase n'ait pas trop augmenté depuis le dernier IRM du 16 février qu'il avait en sa possession. Si tel était le cas, il aurait beaucoup plus de difficultés à traiter efficacement la métastase afin qu'elle se nécrose et disparaisse dans les six à douze mois suivant le traitement. Il ne fallait surtout pas qu'elle ait dépassé les trois centimètres. Elle mesurait 25 mm.
Après ces deux entretiens successifs, nous retournions dans la chambre; les infirmières t'avaient expliqué qu'elles te réveilleraient le lendemain à 4 h 30 du matin pour une toilette à la bétadine et qu'ensuite tu descendrais dans le service pour l'installation du casque stéréotaxique et la prise par IRM des mesures nécessaires à l'administration du traitement.
Vers 10 h, affublé de ce casque, tu étais reconduit dans la chambre par un brancardier afin de prendre un petit déjeuner; je dois dire que, même si je m'y attendais, la vue de cette installation sur ton crâne m'impressionna beaucoup; malgré cet accoutrement, tu trouvais encore le moyen de plaisanter, me demandant de te prendre en photo pour le souvenir...
Une demi heure plus tard, tu redescendais en salle de Gamma Knife pour y subir le traitement qui dura 80 mm; l'annonce de ce temps par l'interne qui passait à côté de toi te sembla bien long par rapport aux dires du neurochirurgien qui nous avait annoncé la veille que le traitement durerait tout au plus 20 mn. Lorsque tu interrogeas l'interne pour comprendre pourquoi le traitement avait duré plus longtemps, ce dernier te répondit brièvement, et tout en passant son chemin, que la métastase avait grossi.
En remontant dans la chambre aux alentours de midi, tu n'étais pas en forme; une violente migraine te faisait terriblement souffrir. Les infirmières te rassurèrent en t'expliquant que cela pouvait arriver; elles te soulagèrent en t'administrant des antalgiques.
De mon côté, je décidai de te laisser "tranquille" et me mettai un peu à l'écart en descendant à la cafétéria de l'hôpital; je savais à quel point, pour en être victime moi-même très fréquemment, les migraines doivent être gérées dans le calme et sans personne autour.
Tu avais quand même tenu à m'expliquer la pose du casque lorsque tu était remonté pour le petit déjeuner. Une méthode plutôt barbare par rapport à la technologie de pointe que représente le traitement en lui-même. Le crâne endormi localement en quatre points dont deux sur le front, puis le perçage de quatre trous dans l'os afin d'y enfoncer les pointeaux du casque; à chaque fois, le bruit d'une bouteille en plastique que l'on écrase afin d'en réduire le volume pour la jeter aux ordures; cinq personnes à la "queue leu leu" dans le couloir, devant la porte de la pièce où aura lieu la pose; chacune dans son fauteuil roulant et voyant ressortir le patient qui le précédait, portant cet appareillage. C'était ton explication.
Ce casque, une fois mis en place, serait fixé directement à l'IRM et, de cette façon, les mesures seraient prises au millimètre près et le traitement se déroulerait de la même façon, sans qu'aucun mouvement du patient ne puisse mettre en péril l'efficacité du traitement.
Les paroles du neurochirurgien nous avaient beaucoup troublés la veille et nous espérions, tout comme lui, que la taille de la métastase soit encore dans des dimensions permettant de la catapulter. Mais les mots de l'interne, tout de suite après le traitement, te disant qu'elle avait grossi et sans explication supplémentaire... nous firent vivre la plus pénible des journées.
Ta migraine était probablement due en grande partie à l'angoisse que tu ressentais; pour ma part, je tentais de me réconforter en téléphonant à nos proches. Un après-midi entier à se demander si le couperet allait tomber ou non... l'antichambre de la mort en quelque sorte... et je n'exagère pas. Un homme qui aime tant la vie, qui se bat avec ténacité contre un cancer qui le détruit à petit feu et qui s'entend dire que la métastase que l'on vient de lui traiter a grossi!! de combien? la marge était de 5 mm.. le médecin a-t-il réussi à faire ce qu'il souhaitait? Nous allions devoir attendre jusqu'au soir le passage du neurochirurgien pour connaître le verdict.
Nous ne parlions pas beaucoup juste avant sa venue; je te sentais anxieux et j'imaginais ta détresse. Le même sort que celui du condamné à mort ayant demandé sa grâce t'était réservé.
Puis, la porte de la chambre s'ouvrit, laissant apparaître l'homme qui allait nous tirer ou pas de cette torpeur; il était accompagné d'un interne. Il se dirigeau vers toi, sourire aux lèvres, en te disant qu'il avait pu intervenir comme il se l'était fixé, que la métastase avait un peu grossi mais restait dans des dimensions abordables au Gamma Knife. Il t'expliqua le programme du lendemain, jour du départ de l'hôpital où il te recevrait pour te donner tous les détails de la suite à donner à cette intervention.
Quand il referma la porte, je vis les muscles de ton visage se relâcher, une légère secousse du haut de ton corps me fit comprendre que tu pleurais; un bref sanglot, dans mes bras. Je t'invitai à lâcher prise... j'étais bouleversée. Tu avais frôlé de près la condamnation. Ce jour-là, mon highlander avait compris qu'il était mortel...
Le lendemain, nous reprenions le chemin de la maison; c'était le jour de mon anniversaire. Un anniversaire pas comme les autres, avec la tête serrée comme dans un étau, une violente migraine m'obligea à me coucher dès notre arrivée. La tension avait été à son comble.